Récit d’une victoire par Pascal LOISON
Départ dimanche 11 août, devant le Royal Squadron, à Cowes ; c’est le jour de l’anniversaire d’Alexis. Je lui demande ce qu’il veut comme cadeau d’anniversaire, nous convenons qu’une Rolex, prix réservé au vainqueur toutes classes, ce serait pas mal !
Même si nous en parlons, l’objectif affiché ce n’est pas la victoire toutes classes, c’est de gagner en double, voire en IRC3 puisque depuis le début de la préparation à ce Fastnet nous avons à chaque fois fait le doublé, que ce soit avec « Léon » sur Cowes Cherbourg en septembre 2012 ou avec « Night and Day » cette année sur Cowes Dieppe, puis Cowes Dinard; mais c’est vrai que la victoire toutes classes d’Alexis associé pour l’occasion à un autre figariste Joan Ahrweiller à la Channel Race a montré que c’était possible, alors pourquoi pas rêver un peu ?
La météo nous va bien, pas de gros temps annoncé sur toute la course, pour nous du louvoyage pendant deux jours, puis du reaching dans le médium, après on ne sait pas, c’est trop loin, ça va changer ; il semble que les gros ratings ( il y a des bestiaux de 100 pieds avec des ratings IRC supérieurs à 1,800 , des volvo 70 qui semblent déjà plus petits, plein de superbes bécanes qui vont aller beaucoup plus vite que nous) ne vont faire que du louvoyage, puis du vent arrière, donc pour une fois ils ne vont pas forcément être avantagés; les petits bateaux ont leur chance, à nous de l’utiliser au mieux;
parmi ces petits bateaux il en faut des polyvalents, car il y aura du reaching; ce n’est pas forcément la tasse de thé des tout petits ratings comme « Iromiguy », Nicholson 33 vainqueur toutes classes en 2005, ou les comtessa 32 ou sigmas 33; bref les JPK 1010, bien polyvalents, peuvent tirer leur épingle du jeu. Reste que dans tous les ratings moyens comme le nôtre, et en particulier dans les JPK 1010 il y a du beau monde, « Foggy Dew » vainqueur de la précédente édition dans sa classe faisant un peu figure d’épouvantail; en plus il n’est pas facile à contrôler car il est en classe IRC4 avec un rating de 1,006, alors que notre rating de 1,009 nous place en classe IRC 3, et que notre départ est décalé de 20 minutes après le sien;
En attendant le départ, on regarde, le spectacle est superbe, le thermique de SW est en train de s’établir, les grands multicoques dont Spibndrift et Banque Pop partent en premier, la vitesse avec laquelle ils traversent le Solent en tirant des bords est hallucinante; puis viennent les Imoca, les 40 pieds, et enfin le départ des IRC4 20 minutes avant nous; le courant est encore contraire, presque tout le monde part côté « continent », Iromiguy est un peu seul côté île de Wight, il nous semble qu’il ne s’en tire pas trop mal, et que ça devrait être encore plus net quand ce sera notre tour avec la renverse qui se fait plus tôt côté île; « Foggy Dew » est côté continent et comme d’habitude ça ne semble pas se passer trop mal pour lui ! Bref nous sommes d’accord, on partira côté île, pour bénéficier de la renverse plus précoce et des « gauches » qui débouchent des vallées par SW; on sera plus maniables que les grosses bécanes qui partent après nous et on devrait pouvoir en gardant le côté île s’abriter des dévents;
Départ; on est un peu seuls côté île; « Raging Bee » l’autre 1010 cherbourgeois, en double également, est avec nous, ça nous donne un bon lièvre, les croisements sont chauds au départ, tribord je passe, babord, je te laisse passer, on finit par prendre un petit avantage, c’est mieux comme ça car 608 milles au contact ça promettait d’être difficile !
Sortie du Solent, comme souvent toutes les classes IRC se retrouvent là, les petits partis devant, les gros partis derrière , le Solent semble un peu petit! Esimit Europa ( 100 pieds à quille basculante) passe à 10 mètres; il doit être à onze noeuds ouaouhhh , il est sous notre vent, ça a pas l’air de le gêner beaucoup ! « Raging Bee » longe les Shingles, ça n’avait pas marché du tout à Cowes Dinard, aujourd’hui ça marche ( comprenne qui pourra) et ils repassent devant ( Grrrr …..); on est donc toujours au contact du lièvre mais il court devant ….
Louvoyage entre les Needles et Saint Alban; le courant nous aide; objectif Portland; c’est le premier passage à niveau; les gros vont passer sans problème, pour nous, c’est moins certain, ce sera la renverse , probablement la mort du thermique, on espère que le synoptique de NW sera bien là. On repasse « Raging Bee » sur une petite bascule;
Portland: c’est toujours un moment clé; ça mollit; nous croisons « Swinhoe » de Philippe Vicariot; on va bien en vitesse pure, plusieurs options se dessinent, l’AIS permet une analyse plus fine de ce qui se passe dans les différents paquets de bateaux;
⁃ tout à la côte, babord amures, pour s’abriter du courant contraire établi maintenant à cet endroit; ça n’a pas l’air mauvais au début mais ça freine fort quand ils approchent de l’extrémité de la pointe; passera ? Passera pas ?
⁃ au large, tribord amures, c’est plus logique, le courant est plus faible et va se renverser plus tard, par contre le vent semble bien mou, le cap peu rapprochant;
⁃ entre les 2, c’est nous, au large au début tribord amures pour avoir une renverse plus tardive, babord amures ensuite cap à l’ouest pour être appuyés par le contre -jus qui sort de la baie de Lyme et prend une orientation Nord-sud au contact du Bill of Portland; et là miracle, une fois l’aplomb de la pointe de Portland passé, c’est une frontière météo, de l’autre côté on tombe dans le Nord ouest espéré on repart tribord amures cap direct vers Star Point; à quelques dizaines de mètres près, ça passe ou ça passe pas, les écarts sont énormes, ceux qui sont restés à l’est de la pointe vont mettre un paquet de temps à toucher le nouveau vent et à repartir; où est « Foggy Dew » ? Mystère, il était devant, mais plus à terre la dernière fois qu’on l’a localisé à l’AIS, l’avenir montrera que ça s’était bien passé pour lui aussi ! Quant à « Raging Bee » on ne le reverra plus;
Après le vent reste nord ouest, promis comme adonnant progressivement; on est au près tribord amures, un peu sous la route, ça va s’arranger, éloignons nous de Portland et des copains qui y sont encore ! On ne rentre surtout pas dans les baies, on fait en gros la route directe vers Lands end compte tenu de l’adonnante à venir; il fait beau, c’est du près « humain », il ne fait même pas froid;
A partir de Lands End, la question essentielle est le choix du parcours; on peut passer où on veut par rapport aux Scilly, au nord, au sud, voire dedans, mais il y a trois DST à respecter, qui sont des zones de navigation interdites;
– celui de Longships est considérablement étendu vers le nord, le contourner par l’est semble donc risqué; c’est tentant au départ car on est dans une logique de près serré depuis le départ et dans cette route on continue à faire du près; et les cartes y montrent plus de pression; c’est la logique de contournement par l’est de la pointe de la dorsale, pour garder du vent; mais quand le SW espéré va s’établir, il va forcément arriver de l’ouest; combien de temps avant ? Pourra t on faire route directe sur le Fastnet ? A quelle vitesse ? Le gain espéré est faible, le risque élevé
⁃ Avant le départ de Cowes, les routages nous faisaient passer sous les Scilly, au bon plein, cap à l’ouest pour aller le plus à l’ouest possible chercher cette bascule;
⁃ mais nous sommes en avance sur notre routage ( c’est un « défaut » du JPK 1010, ça nous arrive souvent), le timing annoncé de la bascule nous incite maintenant à passer à l’est puis au nord de l’archipel des Scilly; il faut au départ se faire un peu violence pour débrider les écoutes et passer sous le DST , par contre on ne va pas le faire longtemps, rapidement on refera du près pour contourner les Scilly par le Nord en gagnant sur la route ; on ne sera pas trop dans l’est pour être certain d’avoir une allure rapide une fois le SW installé; on sera certain de faire la route directe vers le caillou et donc de gagner du temps par rapport à ceux qui vont aller plus dans l’ouest en passant sous les Scilly; enfin à court terme il y a une belle « gauche « à prendre à l’est des Scilly;
la remontée de la mer d’Irlande se passe bien; c’est du près dans un vent de plus en plus léger, on joue bien quelques bascules qui nous permettent de rester au contact de quelques figaro et autres bateaux théoriquement plus rapides; Warhorse, IMX 40 en double va bien et nous prend peu à peu 5 milles d’avance, il nous inquiète un peu celui là ! Et puis vient le moment du virement; on passe enfin babord amures, cap au 350, et ça va adonner nous permettant de faire la route vers le coin NE du DST Fastnet; le front chaud arrive, et avec lui le SW attendu et du temps irlandais; il pleut, on envoie l’asymétrique et ça va bien ! Par rapport à ceux qui étaient passés à l’est du DST Longships ( dont Alkaïd), on est mieux car eux ne sont pas à une allure spiable; par rapport à ceux qui ont plus investi dans l’ouest, ils peuvent certes spier plus confortablement, voire viser directement le caillou en passant à l’ouest du DST Fastnet mais ils ont beaucoup rallongé la route et peut être un peu trop; on l’espère en tout cas et on gère au mieux le bateau dans le vent bien soutenu et humide qui nous catapulte vers l’Irlande ( 25 noeuds de SW, crachin); ça force et ça refuse un peu, on est à nouveau sous génois, plutôt contents pour ceux qui sont dans notre est et qui vont ralentir beaucoup. On arrive au WP virtuel du coin NE du DST Fastnet
Le contournement du DST Fastnet est le moment où on se dit qu’il se passe quelque chose; c’est souvent comme ça dans les courses qu’on gagne, il y a des enchainements heureux, des passages où on se sent en phase avec les éléments; il fait nuit, on fait du près babord amures dans du vent bien sud qui nous permet de faire route directe vers le caillou; on retrouve « Foggy Dew » à l’AIS; ils étaient donc bien toujours devant! On les espérait avec « Alkaïd »…..Grimaces….Oui, mais ils vont prendre la « droite » annoncée plus tard pendant le louvoyage vers la bouée de dégagement Pantaneius. Du coup on va se refaire un peu car nous on va être plus proches du timing idéal avec du vent bien sud pour aller au caillou et qui va prendre de la droite très vite dès qu’on l’aura passé.
Le passage du phare est un moment magique; on est à 500 mètres, on ne le voit pas ! WP virtuel lui aussi ? La tête de mât est dans un brouillard opaque, il bruine, il y a des bateaux partout mais on les voit au dernier moment, dans ces passages là l’AIS c’est bien car ceux qui ont contourné le DST par l’ouest arrivent sous spi pleine balle pendant que les autres arrivent au près. On continue babord amures une dizaine de minutes le temps d’envoyer au RORC le texto donnant notre temps de passage( 00H 00 minutes et quelques secondes, ça ne s’invente pas), puis on vire et l’adonnante qui suit va nous permettre de faire une lay line parfaite de 6 milles sur Pantaneius Buoy.. On en profite pour faire le point sur le classement au caillou; on est super bien, tout reste possible même si Foggy Dew, 2eme overall au caillou est un peu devant; bientôt du reaching, il n’ a qu’un safran, on va voir ce qu’on va voir!
Cap sur les Scilly ! Le vent est encore assez fort, l’allure assez serrée, les fichiers laissent à penser que dans une dizaine d’heures ça va refuser à nouveau; on renvoie donc l’asymétrique magique et on résiste à l’envie de faire de longs surfs, on cape un peu plus que la route, ce sera bon pour la suite; Foggy Dew cape un peu moins, ça nous conforte dans l’option, si on les suit ça va être compliqué de les doubler; le temps s’améliore, il ne pleut plus, le clapot n’est pas trop méchant, ça va vite, c’est rigolo l’asymétrique c’est une allure très régulière: peu d’accélérations foudroyantes, de surfs déments à raconter au bar, c’est pas la conduite grand prix, mais une vitesse élevée, constante, c’est un peu le TGV; quand on part au tas ( ben oui ça arrive), c’est pas cher; là où avec un symétrique on s’arrête avant de remettre le camion sur la route, là on passe de neuf à huit noeuds, et ça repart quasiment sans toucher à l’écoute. « Foggy Dew » est maintenant visible, il tombe sous la route, on reste un peu au dessus, on s’accroche; un peu plus tard ils remettent un génois, puis probablement un code zéro; nous on change rien, on continue sur la tranche, à chaque sieste, celui qui se réveille et qui n’a pas regardé depuis une demi heure le plan d’eau confirme, ils doivent moins bien dormir sur « Foggy Dew » car le relèvement évolue dans le bon sens pour nous.
Aux Scilly, la donne a changé; c’est nous qui sommes devant, deux petits milles, mais le parcours nous avantage plutôt; c’est du vrai portant, sous grand spi, c’est maniable, on est plus légers, ça va être compliqué pour eux! Il y a plein de bonnes nouvelles; d’abord quand on regarde vers le nord, il y a un groupe de bateaux qui arrive sous génois en longeant Bishop Rock; ce sont ceux qui ont surfé les vagues dans le bord précédent et sont donc passés au dessus du DST ouest Scilly; parmi eux l’A 35 « Prime Time » qui était devant au caillou et qu’on aime bien mieux voir derrière; et puis la fée Internet nous confirme qu’on est super bien au classement overall; la seule ombre au tableau est un certain MC 34 « Patton » avec Gery Trenteseaux; il est loin devant en temps réel, mais si le vent s’essouffle à la fin ( un classique en baie de Plymouth) il peut tirer son épingle du jeu;
La dernière nuit semble bien longue; passé le Lizard il reste encore 40 milles! Une éternité …. On empanne à la bascule, mais surtout …..à l’AIS, seule façon de contrôler « Foggy Dew »; on a notre plan en baie de Plymouth pour chasser le MC 34, utiliser au mieux la fin du courant montant et le vent; mais on surveille les rétroviseurs et quand « Foggy Dew » tente d’aller à la côte un peu vite à notre goût on va avec lui ! Ce serait trop dommage qu’ils trouvent quelque chose et pas nous…… Gery Trenteseaux a passé la ligne, c’est jouable.
L’arrivée est particulière; à quinze minutes de la ligne un front arrive et une pluie diluvienne nous tombe dessus; on n’y voit rien; une pensée émue pour les caméras qui font des images et vont essayer de donner une idée « sea sex and sun » de cette Rolex Fastnet Race avec ces images …. Pas de doute, metteur en scène, c’est un métier !
Grand moment d’émotion quand Noël Racine arrive et s’amarre à côté de nous……
Et à la remise des prix, où le soleil est à nouveau de la partie, le spectacle d’acrobatie aérienne somptueux, Noël a de nouveau le sourire, on fait des photos sympa des deux équipages des JPK 1010 premiers du classement overall, les anglais nous font une ovation d’au moins trois minutes et j’ai décidément les poignets beaucoup trop petits pour la Rolex ……., encore une histoire de réglages !