Par Jean-Pierre Kelbert
La prochaine Transquadra se profile déjà à l’horizon et je voulais partager mon expérience en double sur la Transat 2005/2006 et en solo sur la transat 2008/2009 avec ceux qui se lancent dans cette prochaine édition sur un JPK.
Je pense qu’avant tout il faut privilégier le côté aventure et le côté humain avant le côté performance et le résultat.
Bien sûr, le résultat ajoute au plaisir mais il faut avant tout garder à l’esprit que traverser l’Atlantique est une expérience fabuleuse et ce quelque soit le résultat.
En 2005, je me suis associé à mon ami Hervé Perroud car, au-delà de l’amitié, nous étions complémentaires sur le bateau.J’étais là pour faire avancer le bateau le plus vite possible et Hervé se consacrait beaucoup à la navigation.Je me souviens qu’après avoir parfaitement dégolfé sur la 1ère étape (merci Hervé pour l’option cuillère sous le vent) nous étions bien devant quand, en pleine nuit dans 45 nds d’alizé portugais, nous avons cassé notre safran au vent (choc sans doute car le safran s’est retrouvé décapité au raz de la coque). Passé le choc, nous avons décidé d’empanner et de traverser le plan d’eau pour aller vers les côtes portugaises et abandonner ainsi notre option juteuse.Résultat; nous avons rétrogradé de la 1ère à la 20 ème place mais nous avons rejoint Madère et, malgré la déception, il n’y eut aucune tension entre nous .L’aspect résultat était abandonné mais il restait le côté aventure et la perspective d’une seconde manche.En fait, il faut savoir encaisser, faire le dos rond en attendant des heures meilleures qui viennent toujours.La seconde manche nous a bien consolés car nous l’avons remportée dans un climat euphorique de bout en bout.Il est difficile de comparer la transat en solo avec celle en double.En double, il est toujours possible de s’appuyer sur son partenaire et du coup la tension est sans rapport .On peut se laisser un peu aller et profiter de chaque instant et surtout partager des moments privilégiés comme une bonne bière au coucher du soleil.
En solo, je pensais aussi me savourer une petite bière avant le coucher de soleil mais tout seul le goût n’y était pas et j’ai vite laissé tomber. La tension est forte et le plaisir vient surtout de la bonne gestion; gestion de son sommeil et de sa récupération, gestion de la nav, gestion des manoeuvres.Tout se fait malgré tout avec de la pression car, à aucun moment, on a le droit à l’erreur.
Préparation :Il faut essayer de rester dans la simplicité à tous les niveaux et surtout choisir le bon bateau, marin mais planant, performant mais tolérant.En double il est encore possible de composer avec un bateau technique et exigeant (mais bon ce n’est pas très drôle!) car en permanence quelqu’un veille sur le pont près à saisir la barre ou à choquer l ‘écoute. En solo, la tolérance n’est pas la même et on s’en remet vraiment aux qualités de son bateau. Tous les JPK sont dessinés par jacques Valer à qui je trouve vraiment du génie . Durant ma transat solo, « Léon » mon JPK 960 m’a vraiment bluffé par son aisance. Bouquiner tranquillement dans sa banette sous spi par 30/35 nds m’aurait semblé complètement délirant avant le départ et pourtant je l’ai vécu plus d’une fois . Il s’agit de moments forts dans l’aventure où une vraie communion se crée entre le bateau et le bonhomme…
Equipement :Une électronique sure et installée par des pros ( et parfaitement à l’abri de toute entrée d’eau) avec une attention toute particulière sur le pilote qu’il faut maîtriser parfaitement avant le départ. (idéalement un 2ème pilote en solo).En solo, le pilote barre 90 % du temps mais, en double, il ne faut pas hésiter non plus surtout la nuit où le pilote ne faiblit jamais et finalement fait du gain sur la route.Donc, dans les sorties d’entraînement, il faut confier la barre le plus souvent possible au pilote.
Charge :Là encore un simple alternateur et 2 batteries (neuves) de service suffisent même en solo . Sur « Léon », le moteur tournait 15 minutes toutes les 2 heures avec le pilote en permanence.La charge maxi se fait au début, il est donc préférable de faire des cessions courtes et rapprochées.Le contrôleur de batterie est un plus mais ne s’impose pas (je n’avais que le voltmètre du tableau)
Optimiser son bateau :La transat se joue à 80 % au portant , il faut donc le privilégier. Il faut, en tout cas, faire la chasse au poids et emporter le minimum (ce n’est quand même pas le tour du monde).La carène doit être parfaite tout comme les appendices : antifouling téfloné appliqué au pistolet et éventuellement reponcé. Une hélice bien profilée.En cas de bi-safrans, un système de réglage pour ajuster l’écartement en fonction du vent. Un bi-safran mal réglé est une catastrophe.Pour le près et reaching, un bon système de matossage
Spis :Choix capitalIl en faut minimum 3 +1 code 0 et leur dessin est capital (en terme de rating le spi supplémentaire coûte 1 à 2 millièmes ce qui est dérisoire).J’avais des grands spis symétriques North très épaulés faciles et tolérants mais passé 25 nds, il fallait être vigilant.En revanche, derrière j’avais un spi lourd (type code 5) All Purpose de laurent Allard et dessiné par Alain Le Roux qui était une pure merveille de facilité et qui auto-régulait jusqu’à 35 nds passés.En fait, la navigation solo tient à un bon pilote et un bon dessin de spi (avec le bon bateau, bien sûr ! )Code 0 : le plus grand possible principalement pour serrer dans la molle (à bien préciser au dessinateur). En tissu tramé, cela se tient mieux qu’en tissu à spi.
Accastillage :Drisses non dégainées car plus facile à dropper et pas de risque de rester coincé dans une joue de réa.2 circuits pour bras et écoutes de spis pour les empannages (poulies de bras en avant des cadènes de haubans) mais aussi pour sécuriser avec 2 brins par côté. Je pense même qu’en solo 2 tangons à l’empannage est une chose intelligente car quand il y a 25 nds et plus on hésite, on retarde la manoeuvre, on stresse à l’avance et on gaspille de l’énergie inutilement.
Gestion du bonhomme :Il faut vraiment s’économiser quand on peut pour garder du jus dans les moments chauds. Je me suis parfois retrouvé au petit matin un peu entamé avec l’idée d’aller dormir un peu et me retrouver coincé sous grand spi à la barre ou à l’écoute dans un grain qui dure 3 heures à plus de 30-35 nds ! Il faut avoir du jus en réserve.D’une manière générale, la concentration qu’exige la barre demande pas mal d’énergie alors que tenir l’écoute de spi à la main pour choquer et reprendre 10 cm quand le bateau est un peu embarqué ne demande aucun effort pour une efficacité radicale.Donc, dans les moments chauds sous spi, je préférais systématiquement confier le bateau au pilote avec un gain élevé et prendre l’écoute à la main.Au niveau sommeil, chacun doit trouver son rythme mais des tranches de 30 minutes réparent beaucoup et, assez rapidement, on s’aperçoit que les mêmes tranches de sommeil se répètent.D’une manière générale, il faut y aller même pas très longtemps dès qu’on sent qu’on lutte , même un peu, contre le sommeil.Il faut, en tous, cas éviter l’accumulation car ensuite, sur les nerfs, le sommeil est difficile à trouver.Bouquiner est un bon moyen de s’évader du bateau et donc de se conditionner pour le sommeil. Un bon réveil buzzer s’impose avec une sirène costaud.Sur la 1ère étape, dans le rail des cargos, je dormais par tranche de 10 à 15 minutes le temps de faire un tour d’horizon entre chaque tranche de sommeil. Donc, on compte vraiment sur son réveil.
Le transpondeur radar et l’AIS (avec alarme) apporte du confort mais ça ne garantit pas des collisions à 100 %. Il faut donc rester extrêmement vigilant dans les endroits fréquentés.
S’amariner avant le départ :Il faut éviter de débarquer l’avant veille du bureau pour s’engager en mer. S’amariner quelques jours avant le départ est impératif car on peut être très vite secoué si le vent est de la partie .Dans ce cas, on peut perdre son énergie super rapidement et mettre un long moment à récupérer. Quand on sait que beaucoup de choses se jouent dès le début de course.Un bon démarrage est stimulant et très bon pour le moral. Si le moral est bon, on accepte mieux les moments ingrats et durs et c’est dans ces moments là que la différence se fait.
Navigation : Bien sûr, les stages météo et les bouquins comme celui de Bernot sont très profitables mais il faut surtout préparer sa navigation avec un bon météo avant le départ et avec les différents scénarios qui peuvent se dérouler; la 1ère étape dure 1 semaine et il est possible de faire une nav déjà très précise avec les conseils de quelqu’un de très compétent.Dans mon cas, le scénario s’est déroulé comme convenu dans les 2 étapes et j’ai simplement dû ajuster la trajectoire en fonction du timing et des petites oscillations. Il ne faut pas hésiter à faire du gain sur la route en suivant ado et refusantes . Dans les grains, il faut anticiper le bon côté car le grain expulse avec des angles très différents selon le bord sur lequel on se trouve. Tout cela est très bien expliqué dans le Bernot par exemple. Je l’avais à bord et poutant c’est lourd !
Sécurité :Le poste doit être bien travaillé pour garantir un risque vraiment mini. C’est tout à fait possible si on respecte les règles que l’on se fixe au départ. Le problème apparaît lorsque la fatigue fait perdre de la lucidité et que, dans l’urgence d’une manœuvre, on se retrouve très exposé, surtout en solo.L’idée 1ère est de tout faire pour éviter que les situations deviennent périlleuses et prioritairement avoir à l’esprit sa sécurité.Cocotiers ; sur ma traversée solo, le spi ayant fait un cocotier vraiment serré pendant une sieste, j’ai dû grimper dans le mât pour défaire le nœud. Je me suis alors aperçu que mon système d’échelle en sangle était inadapté et même dangereux car l’ensemble fait des tours et n’a aucune stabilité (surtout avec 30 nds de vent). Au final et après 3 montées, j’ai fini par me mélanger les « crayons » et tomber depuis le 1er étage de BDF, par chance, sur le pont.Mon conseil pour le matériel de crapahute : se rapprocher des spécialistes de la grimpette qui ont la connaissance et surtout le bon matos. Dans tous les cas, il faut pratiquer un peu avant le départ .Cocotier ; un système de génois belge ou de solent envoyé limite le risque surtout quand on dort. Méfiance tout de même des mousquetons du solent qui peuvent piéger la toile à spi. Pour ma transat, j’avais gardé mon étai creux et cela m’a sauvé la mise quand, étant dans l’impossibilité de défaire le nœud du spi, j’ai démonté l’étai creux et j’ai ramené l’ensemble sur le pont après avoir libéré drisse et balancine.
Voilà un petit tour d’horizon de quelqu’un qui n’avait que très peu d’expérience du large avant 2005 et qui a trouvé ce qu’il cherchait dans ces traversées. En double le plaisir du partage et la navigation hauturière à plein régime avec un ange gardien à ses côtés . En solo, des moments très forts émotionnellement avec des moments durs et des instants de grâce inoubliables. Quitter ses proches avec une boule au ventre et les retrouver de l’autre côté heureux et comblé.