Merci et un grand bravo à Jean-Philippe, qui partage avec nous le récit et les photos d’un impressionnant voyage de plus de 6000 nm jusqu’au Spitzberg avec son JPK 39 “Maéva”.
Voyage au Spitzberg du Maeva, JPK 39 FC N°2, 10 avril 2022, 15 septembre 2022.
1. De Lorient à Barra, Hébrides extérieures.
Le 10 avril, un fort vent de sud-est est annoncé, donc, pour monter vers les Scilly,
l’Irlande et l’Ecosse, c’est tout bon.
En réalité, c’est un peu fort : 20, puis 30 puis 40 noeuds au large de Sein à la tombée de
la nuit, avec un bel orage et ses rafales.
Même si c’est la huitième fois que je monte en Ecosse, je joue petit bras car je suis en
solitaire et plus tout jeune : 3 ris et trinquette.
Le bateau est chargé pour 6 mois de croisière vers le Spitzberg mais les pointes de
vitesse à deux chiffres se succèdent, ce qui est remarquable pour un voilier aussi peu
toilé. Le comportement du JPK 39 me ravit.
La mer est très forte et croisée et au lever du jour, je décide de stopper aux Scilly car la
fatigue est là. Il s’agit bien d’une croisière.
A Saint Mary, comme souvent, ça roule beaucoup mais le seul autre voilier, un XC50 roule
encore plus que moi, je m’esquive vers Tresco où le mouillage est parfait.
Après cette première étape musclée, je vais avoir des conditions faciles, voire molles pour
monter en Irlande puis en Ecosse.
Beaucoup de portant, un stop à Dun Laoghaire à l’entrée de la baie de Dublin, dans cette
marina trois étoiles où j’adore l’espace entre les pontons et les catways XXL
Mes nouveaux amis du XC 50 arrivent alors que j’allais appareiller et comme ils sont en
fin de croisière, ils m’offrent le reste de leur cambuse et je vais ingurgiter plus de produits
laitiers en une semaine qu’en mes 71 premières années.
La mer d’Irlande m’offre encore une belle et rapide montée vers Bangor dans la baie de
Belfast.
J’apprécie beaucoup Bangor et son superbe agent de cartes marines TODD, ils ont tout
et moins cher qu’ailleurs. Les cartes papier et les sextants, c’est vintage mais tellement
beau.
La suite devient superbe, le North Channel entre l’Irlande du Nord et le Mull of Kintyre
chanté par les Beatles ( souvenirs de jeunesse…. ) amènent Maeva à Port Ellen sur l’île
d’Islay, première escale Ecossaise.
Je résiste à la tentation de faire le tour des distilleries qui sont nombreuses et portent les
noms qui font rêver les amateurs de « single malt ».
J’ai rendez-vous avec Taiko, mon épouse et équipière japonaise le premier mai à Barra
aux Hébrides Extérieures.
Ce rendez-vous est exotique car le petit avion en provenance de Glasgow atterrit sur la
plage immense de North Bay.
Je continue donc vers le nord par petit temps mais avec de forts courants qui poussent
bien si on regarde l’annuaire des marées.
Oban est une assez grande ville animée qui permet de refaire un plein de frais et offre une
belle marina confortable en ville pour la toilette du bateau.
On peut préférer l’autre marina sur l’île de Kerrera de l’autre côté de la baie, c’est plus
calme mais il faut emprunter le petit ferry pour aller en ville.
Pour la première fois, je passe par le Sound of Mull sans m’arrêter à Tobermory pourtant
petite merveille colorée et intime. Mais le vent de nord-est, donc travers, souffle à 25 ou
30 noeuds, et j’en profite. La traversée de la mer des Hébrides se fait à très grande
vitesse.
Je retrouve Castle Bay à Barra avec plaisir, la marina donne un bon abri sauf par très fort
vent de sud et le capitaine de port, chauffeur de taxi de son état, est très sympathique.
Chaque fois que j’embarque un équipier ici, c’est lui qui nous ramène de l’aéroport vers le
bateau avec des étapes aux belles plages de l’île sans qu’on lui demande.
J’ai 10 jours d’avance sur le RV avec Taiko, le temps se met au grand beau, même les
Ecossais ne reconnaissent pas leurs îles car nous sommes en avril et le ciel reste
uniformément bleu avec toutefois un vent d’Est assez frais.
Je profite de cette escale prolongée pour finaliser les formalités avec le Sysselmann
( gouverneur ) du Spitzberg, réservation d’un fusil obligatoire pour descendre à terre, car
l’ours polaire est en haut de la chaîne alimentaire et il est préférable de ne pas se faire
croquer.
D’un autre côté si on est obligé de tuer un ours, ( horreur ! ), on reçoit une lourde amende;
moralité, il faut être vigilant et se tenir à distance.
On commence à croiser des navigateurs du grand nord, en particulier Pangey, un Moody
42 en partance pour le Groenland avec Michael son skipper solitaire, qui est rédacteur de
guides sur l’Arctique pour la Cruising Association.
J’apprends beaucoup à son contact, il affiche 40000 milles dans les eaux polaires de
l’Arctique depuis 15 ans.
Je passe quelques jours mouillé devant la sublime plage blanche de Vatersay.
Comme par hasard, la veille de l’arrivée de Taiko, le temps se fâche et l’atterrissage du
petit avion sur la plage est annulé.
Finalement, atterrissage décalé de 24 h sur Benbecula, une île plus au nord, donc le trajet
devient très compliqué, avion, bus, ferry, bus à nouveau….. pour arriver enfin à Castle
Bay.
Vive l’aventure.
2. De Barra à Bodo en Norvège.
Le 2 mai, le voyage continue vers le nord.
Les Hébrides Extérieures regorgent de mouillages tous plus beaux les uns que les autres.
Nous remontons les îles par temps très variable, plutôt mou.
Je ne parlerai que d’une escale, le loch Stockinish.
On pénètre dans ce loch sauvage par un chenal étroit entre des parois rocheuses, l’abri
est excellent. Les moutons vous chantent la sérénade sans entracte. Quand ils se
fatiguent, le silence est total.
Trente milles plus au nord, Stornoway, la capitale des Hébrides Extérieures et ville
principale de l’île de Lewis sera notre dernière escale aux Hébrides.
Cette ville est très intéressante et active avec de bons marchés, mais le dimanche, c’est
ville morte.
Le temps change, un fort flux de sud-ouest s’établit, ce qui est normal pour la région et la
saison.
Nous traversons The Minch, que l’on peut comparer à notre Manche, vers Kinlocherbie,
port de pêche à 15 milles au sud du Cap Wrath, pointe NO de l’Ecosse.
Ce cap a la réputation qu’il mérite, exposé aux grandes houles de l’Atlantique nord
( 58° N ), et entouré de courants puissants. Je l’ai déjà passé trois fois….. par temps de
demoiselle, en montant ou descendant de Norvège avec mon précédent voilier.
Mais les sifflements du vent dans le gréement et la pluie battante nous font passer une
nuit un peu inquiète dans notre petit port de pêche.
A 4 h, on appareille pour profiter du courant portant, ce qui devrait nous éviter de
mauvaises vagues levées par le vent de SO contre le courant de jusant.
Le passage est facile finalement et vraiment rapide avec des déferlantes bien velues qui
envoient Maeva dans des surfs étourdissants.
Cela dit, quand je me retourne, je ne me vois pas remonter cette mer et la décision de
passer au retour en septembre par le Canal Calédonien est prise.
On arrive vite aux Orcades dans mon port préféré de ce bel archipel, Pierowall sur l’île de
Westray.
Ce port de pêche permet d’abriter 5 ou 6 voiliers.
Il faut aller à Noup Head au NO de l’île, les falaises vertigineuses au pied du phare
abritent des colonies d’oiseaux de mer. Superbe paysage maritime.
Une autre traversée vent travers force 6 ou plus nous amène à Lerwick aux Shetland.
En cette saison, il y a de la place dans les deux petits bassins réservés aux bateaux de
passage.
Au coeur de l’été, c’est une autre histoire et on se retrouve souvent à 3 ou 4 à couple, ce
qui n’est pas idéal si un coup de vent pointe son nez.
Nous rencontrons le JPK 45 Rossinante qui est en route pour Bodo où ils laisseront leur
bateau pour visiter les Lofoten en été.
Nous appareillons le 10 mai par bon vent de sud-ouest, les conditions sont quasi idéales.
La BBC annonce un avis de coup de vent pour North Utsire, précisément là où nous
sommes supposés atterrir le lendemain.
Dans la nuit, le vent se renforce effectivement, toujours portant et avec 3 ris et trinquette,
nous alignons les surfs à plus de 16 noeuds dans une mer bien rangée, pour entrer dans
le fjord de Floro au petit jour.
La vitesse de Maeva et sa stabilité de route, sa raideur quand on doit remonter du vent
frais sont remarquables.
Bravo l’architecte, c’est une très belle carène!
La visibilité vers l’extérieur permet de rester le plus souvent à l’abri, c’est un must pour
une croisière en pays froid.
Floro est une ville parfaite pour atterrir en Norvège.
Marina confortable, yacht club confortable et shipchandler remarquable pour une petite
ville.
A partir de là, nous allons emprunter Indreleia, chenal côtier entre la Norvège nord-ouest
et les innombrables îles et récifs qui bordent cette côte magnifique.
Ce chenal est parfois étroit, parfois un boulevard, mais souvent le vent y est irrégulier et
peut passer du grand frais à la pétole plusieurs fois dans la journée. Les montagnes
culminent à 1000 mètres et plus, et ce n’est évidemment pas idéal pour avoir un vent
régulier. La beauté des montages enneigées se paie.
On peut suivre ce chenal jusqu’à Tromso avec seulement trois sorties dans l’océan sans
protection.
La première est le passage de Stattlandet, un cap qui pointe plein nord et oppose sa côte
rocheuse aux houles puissantes, créant des vagues dangereuses.
C’est mon troisième passage ici et le premier où je vais vraiment affronter une mer très
dure. Mon souci dans ce passage sera de ralentir le bateau face à ces murs d’eau.
Je ne vais pas détailler toutes les escales magnifiques de cette côte.
A Alesund, nous assistons aux défilés de la fête nationale, le petit port niché dans la ville
est bondé. Il est toutefois surprenant que dans une ville aussi réputée, il n’y ait aucun
service pour les voiliers de passage.
Le défilé est très pacifique, tenues traditionnelles pour les dames et les messieurs, et
aussi défilés des différentes écoles de la ville.
Les amateurs de défilés militaires, canons, chars et missiles resteront sur leur faim.
Nous continuons vers le nord par Ona, minuscule île où nous sommes le seul voilier, puis
Hustadvika, un autre passage au large dans un chenal étroit qui zigzague au milieu des
récifs que nous négocions par tout petit temps.
Il y a encore quelques belles escales dans des petites îles où nous sommes toujours
seuls : Sleneset, Bolga, Sorfugloy, où nous nous faisons piéger au ponton par un fort vent
d’est qui est le seul secteur dangereux pour ce minuscule abri.
Aucune météo n’avait prévu ce vent qui se révélera d’ailleurs très local.
Beaucoup de défenses pour protéger la coque et attente que ça mollisse un peu.
Pour enfin pouvoir appareiller, je bénis la présence du propulseur d’étrave car la plage et
les cailloux sont bien proches et il faut virer serré.
On arrive à Bodo où Taiko reprend l’avion pour la France.
3. De Bodo au Spitzberg et retour à Lorient.
Le 11 juin, j’embarque un couple d’amis à qui j’avais promis une croisière aux Lofoten
que je ne détaille pas, en un mot c’est toujours aussi beau.
Le 23 juin, après le petit tour par les Lofoten, j’embarque deux équipiers à Tromso. Je les
ai connus à Tahiti lors de mon premier tour du monde, il y a plus de trente ans.
Le 25 juin, nous quittons Torsvag pour le Spitzberg par beau temps et vent faible.
Le vent se lève le soir et nous faisons route plein nord au près avec, à minuit le soleil dans
notre cap, c’est beau et on est heureux d’être là.
On passe à 80 milles à l’ouest de Bjornoya, l’île de l’Ours et on arrive dans le premier fjord
au sud-ouest du Spitzberg à minuit après moins de trois jours de navigation.
Le Hornsund a la double réputation d’être très beau mais aussi d’accélérer les vents d’est
jusqu’à la tempête.
Nous mouillons avec 15 noeuds d’est, 50 mètres de chaine par 5 mètres d’eau et filons
dans les banettes.
Les growlers défilent le long du bord sans nous toucher mais à peine endormi, Michel
m’alerte que le vent se renforce et que Maeva dérape.
Le vent s’est considérablement renforcé et nous essayons deux fois de remouiller avec
80 mètres de chaine, rien n’y fait, ça chasse et quand l’ancre vient à bord avec des kilos
d’algues, nous abandonnons et fuyons vers la sortie du Hornsund.
Cap vers Dunoyane, petit archipel à 10 milles dans le nord.
Dès que nous quittons l’ouvert du Hornsund, le vent passe de 40 noeuds à calme plat.
Les guides du Spitzberg sont précis et décrivent exactement ce phénomène. Ce fjord est
un excellent accélérateur de particules.
Maeva est très bien isolé et on ne souffre pas de la condensation. Le chauffage, même
réglé au ralenti maintient plus de 15° dans la cabine avec une consommation raisonnable.
A Dunoyane, nous pouvons nous reposer dans un lagon parfaitement calme et retrouver
des amis du Bono déjà vus en Ecosse et à Tromso.
Par petit temps gris, nous montons vers le Bellsund qui offre de nombreux mouillages
abrités du vent et des glaces, en tout cas pendant notre séjour.
Nous retrouvons du vent le 1er juillet et arrivons à la capitale, Longyearbyen.
Le ponton serait très confortable si les semi-rigides de charter ne passaient pas à pleine
vitesse à proximité, envoyant les voiliers dans des coups de roulis dangereux. Mon bel
adhésif vert y laissera des plumes.
Location du fusil obligatoire, plein au supermarché, lessive et douches.
Petite fête avec les amis de Kawann qui vont au Groenland après le Spitzberg….!
Il faut dire que leur gros voilier en acier a des arguments contre les glaces.
Le 5 juillet, on part vers le nord en empruntant le Forlansund, chenal entre le Spitzberg et
la grande île Prins Karl Forland.
Nous stoppons à Poolpyten devant une plage où une colonie de morses a élu domicile.
Ces animaux sont calmes et sur la plage, leur activité est sieste, puis sieste et une petite
sieste pour finir.
Ils sont entassés les uns contre ou même sur les autres et se grattent à l’aide de leurs
nageoires antérieures.
Dans l’eau, c’est une autre histoire, ils nagent avec une grâce et une vitesse surprenantes
au vu de leur masse.
Il n’est pas conseillé de les approcher de trop près à terre, ils pèsent une tonne, et leur
odeur découragerait de toute façon le plus enrhumé.
La remontée du Forlandsund par un temps sans nuage offre des vues superbes sur les
montagnes enneigées.
Deux mouillages plus tard, nous arrivons dans le Kongsfjord assez encombré par les
growlers, le beau temps nous accompagne et nous tirons des bords magiques entre les
glaces.
Nous avons la chance de trouver une place dans le tout petit port de Ny Alesund.
Le village a vraiment une atmosphère de « far north », il y a la poste la plus nord du
monde, un centre de recherche scientifique polaire.
Je demande au paquebot norvégien de passage, le Hurtigruten si je peux voir le médecin
du bord car depuis trois jours, je suis très mal.
Diagnostic rapide : covid, le médecin me conseille vivement compte tenu de mon âge et
de mon état de santé de me rapprocher de l’hôpital de Longyearbyen.
Je suis désolé pour mes équipiers mais il faut faire demi-tour et oublier la côte nord du
Spitzberg, car si mon covid s’aggrave, il n’y a aucune aide dans les fjords du nord.
De retour dans l’Isfjord, qui abrite Longyearbyen, nous cabotons dans les nombreux
fjords de plus faible taille qui débouchent dans l’énorme Isfjord.
Rencontre avec le superbe Varuna, voilier de 21 m en alu skippé par Lionel Lemonchois.
Nous visitons Barentsburg, ville russe à l’architecture stalinienne.
Cette ville est une ancienne cité minière, comme Pyramiden au fond du Billefjord.
Le 20 juillet, changement d’équipage, Taiko arrive et nous allons naviguer tous les deux
jusqu’à la Norvège continentale et Bodo.
Brouillard épais et vent portant nous accompagnent jusqu’à Bjornoya dont nous longeons
la côte est sans rien voir mais en entendant le fracas de la houle sur les rochers.
Nous mouillons dans la grande baie au sud de cette île au radar, ce n’est que le matin au
moment de partir que nous découvrons les falaises impressionnantes de Sorhamna.
Un fort vent de secteur NE nous propulse jusqu’à Tromso où nous attendons nos filles
pour une semaine de croisière de pur bonheur.
Le 10 août, la famille rentre en avion et je pars pour Lorient en solitaire le 14 après avoir
laissé passer un « automn storm », dixit la météo norvégienne.
On peut constater que l’automne est précoce dans ces latitudes.
La descente de la côte NO de la Norvège se passe bien et assez rapidement car quand je
suis en solo, je suis bien en mer mais m’ennuie vite à l’escale, je ne fais donc que des
stops de repos et récupération de sommeil.
Je m’arrête à Fair Isle, superbe petite île à mi-distance entre les Shetland et les Orcades.
Maeva est seul au quai, hormis le petit ferry qui vient chaque soir approvisionner cette
petite communauté.
A mon premier passage en 2017, il y avait un observatoire des oiseaux non loin du quai,
belle base de scientifiques qui accueillait les équipages, pour les sanitaires et même des
repas très corrects. Hélas, un feu a ravagé la bâtisse et cet observatoire est en début de
reconstruction.
Taiko revient m’aider pour passer le Canal Calédonien avec un de nos amis de Tahiti.
Nous partageons les écluses avec un Half Tonner de Lorient équipé par un très jeune
couple que nous avons souvent rencontré au Spitzberg.
Chapeau les marins!
Le reste du voyage se passe sans difficulté.
Le 15 septembre, Maeva s’amarre au port de Kernevel après un peu plus de 6000 milles.